Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/107

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à galoper par les haras pierreux ; et le buste droit sans honte de ses deux seins si peu joufflus qu’elle pourrait les cacher sous des soucoupes.

Accoudée, dans l’eau jusqu’au cou, Elsa dénatte ses cheveux, et les éparpille flottants tout autour de sa face penchée, qui apparaît alors, un instant, parmi ces goémons et sur la tige d’un cou, comme une inhumaine fleur lacustre.

L’effet produit, Elsa se secoue :

— Ah ! j’en avais assez de cette existence de cloître, et de cultes platoniques. Est-ce que tu ne me trouves pas un peu parcheminée ? Oh ! faisons un temps de galop par les pelouses, dis, mon chéri ?

— Comme vous voudrez.

— Ah ! tu ne m’aimes pas. Je m’y attendais bien ! C’était trop beau !

— Si, si, je t’aime ! trop !...

Il tend le bras, et lui donne une cordiale poignée de main ; et pour se reprendre :

— Mais raconte-moi un peu ta vie, vite, vite.

— Mais, mon chéri, je n’ai pas vécu... jusqu’à cette nuit. (Vous savez que je n’ai pas encore dix-huit ans accomplis ?) — J’ai rêvé de ceci, de cela, de vous, Gentil Chevalier, en somme.

— Et, naturellement, tu sais tout ! Tu ne réponds pas ? Devant tes yeux n’ont jamais passé les planches anatomiques de la destinée des créatures !...

— Oh ! vous vous repentirez toute votre vie de m’avoir dit cela !