Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/115

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— Bien vrai, mon chéri ?

— Tiens, laisse-moi sommeiller, me recueillir un quart d’heure, dans le silence de la nuit, — et puis, au nom de cette nuit irrésistible, ma parole, je vais me mettre en devoir de t’adorer grandement.

— Comme tu voudras, mon trésor.

Lohengrin, l’original chevalier, lui tourne le dos, et alors s’emparant plus que follement de son oreiller, et le tenant, en étreinte maladroite, éperdument embrassé, sous sa poitrine et contre sa joue, commence à lui vagir, tel un enfant, un incurable enfant, je vous dis !

« Ô mon bon, bon, bon oreiller, tendre et blanc comme Elsa ! Ô ma petite Elsa, bébé inconscient qui t’étonnes de ma profondeur, bébé succulent, nubile à croquer, boîte-à-surprises, que ton être aux divins organes est une trouvaille ! Ah ! je veux t’aimer à tâtons, trouver le chemin de ton âme !…

« Où es-tu ? où es-tu ? que je t’adore de partout ! Ô mon bon, bon oreiller, tu n’as bientôt plus une seule petite place fraîche pour mon front (après cette journée fatigante !) Mon bon oreiller, blanc et pur comme un cygne ! Tu m’entends ?

« Tu m’entends, mon cygne, mon cygne ! Oh, que ce soit toi, pâle et ne chantant jamais ! C’est toi !

« Je me cramponne à la proue de ton col insubmersible ; emporte-moi par delà les mers immaculées ; ravis-moi, pauvre Ganymède, en spirales, par delà les berges de la Voie Lactée, et les giboulées d’étoiles, et le cap fallacieux