Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/164

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— Ah ! Ah ! une naïade, je vois ! Vous devez me trouver bien laid, bien Caliban, bien capricant ! Une naïade ! Une cousine du beau Narcisse, fils du fleuve Céphyse ! Peste ! Il était beau, hein, Narcisse ? et distingué !

La nymphe Syrinx se raidit, écarte une boucle de son grand front, et proclame d’une voix rude et fraîche :

— Vous vous méprenez ! Je suis une âme esthétique trempée sept fois dans l’eau glacée de la fontaine Castalie chère aux chastes Muses ; je suis la plus fidèle des compagnes de Diane…

Pan recule ! Syrinx lève les bras vers ce pur firmament où, ce soir, resplendira Hécate ; par ce geste, ses deux pâles seins, sous sa diaphane tunique, remontent et s’effacent d’autant, purs et lunaires :

— Ô Diane ! Impératrice des nuits pures ! La muqueuse de ton cœur est rude comme la langue de tes molosses. Tu sautes les fossés et parles peu. L’acier de tes regards arrête le sang rose des jeunes filles qui voudraient tout de suite s’aliter. Les plis de ta chlamyde sont d’ordre purement dorique. Quand on rentre de tes grandes chasses, on tombe comme une vile masse sur les feuilles sèches, et l’on dort sans un rêve jusqu’aux fanfares de l’aube ! En chasse ! En chasse !

Syrinx pousse un strident éclat de rire de Walkyrie, et oubliant Pan, la voilà qui prend sa course, oh, jeune course bondissante ! par la prairie et la vallée, dans la belle matinée !

Et Pan, le cœur crevé d’une vaste tristesse primitive, la regarde qui s’en va ! et qui ne se retourne pas. Il reste là, soudain abattu, et grand misérable comme à la révélation