Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/27

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y a un roi, il s’appelle Gonzago, et une reine, Baptista ; cela se passe à Vienne. La reine a des relations adultères et conspiratrices avec son beau-frère Claudius. Une après-midi, le roi fait sa sieste, cuve ses péchés en fleur sous la tonnelle ; la reine feint d’éplucher austèrement des fraises pour le réveil de son époux. Survient Claudius. Les deux complices échangent un baiser silencieux, puis ils font fondre du plomb dans une cuiller et le versent délicatement dans l’oreille du roi.

— Quelle horreur ! laisse échapper Kate dans un sourire mourant en bouderie.

— N’est-ce pas ? horrible ! horrible ! horrible... Nous disons donc, ils versent le plomb fondu (ce pâle liquide !) ; le pauvre roi Gonzago trépasse dans des convulsions... horribles, horribles, et en état de péché mortel, notez bien. Claudius, alors, lui enlève sa couronne, s’en coiffe et offre le bras à la veuve. La conséquence est que, en dépit des plus fâcheux pronostics, William fera Claudius, et Kate la reine, deux jolis monstres, ma foi.

— C’est que... hésite Kate.

— C’est que, déclare William, notre habitude, à ma camarade et à moi, est de n’incarner que des rôles sympathiques, de préférence.

— Sympathiques ? Tas de brutes ! Et sur quoi pouvez-vous jurer qu’un être est sympathique, ici-bas ? Et puis, et le Progrès, alors ?

— Nous sommes aux ordres de notre gracieux seigneur.

— Voici le manuscrit, William, je vous le confie, n’allez pas l’égarer ; sans blague, j’y tiens. Préparez ça gentiment