Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/40

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pintâmes à tire-larigot ce jour-là. Et puis est venu le tour de la tombe de son pauvre Yorick, dont sa Seigneurie peut fouler ici les restes.

— Je n’en ferai rien.

— Et que j’arrange pour recevoir dans une heure le corps de la noble fille de Polonius, Ophélie, qu’on a retrouvé. Hé oui, nous sommes tous mortels.

— Ah ! Ophélie... on a retrouvé cette demoiselle ?...

— Près de l’écluse, monsieur. C’est son frère Laërtes qui ce matin est venu nous avertir. Il faisait bien peine à voir, ce jeune homme. Il est très aimé. Vous savez qu’il s’occupe de la question des logements d’ouvriers ? Il faut dire aussi qu’il se passe de drôles de choses.

— Et l’on assure avec cela, n’est-ce pas, que le prince Hamlet est devenu fou ? (Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! près de l’écluse...)

— Oui, c’est la débâcle. Oh ! je l’ai toujours dit, nous sommes mûrs pour l’annexion. Le prince Fortimbras de Norwège va nous faire notre affaire un de ces quatre matins. Moi j’ai déjà converti mon petit pécule en actions de Norwège. Et tout ça ne m’empêchera pas de boire un bon coup demain dimanche.

— C’est bien, continuez.

Hamlet met un écu dans la main de l’homme et ramasse le crâne de Yorick, et il va se perdre, d’une allure traînarde et correcte, entre les cyprès et les mausolées, accablé de destinées, de bien louches destinées, ne sachant plus trop par quel bout reprendre un peu décemment son rôle.