Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/42

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l’Histoire, apprenant à lire, se faisant les ongles, allumant chaque soir la sale lampe, amoureux, gourmands, vaniteux, fous de compliments, de poignées de mains et de baisers, vivant de cancans de clochers, disant : « Quel temps fera-t-il demain ? Voici l’hiver qui vient... Nous n’avons pas eu de prunes cette année. » — Ah ! tout est bien qui n’a pas de fin. Et toi, Silence, pardonne à la Terre ; la petite folle ne sait trop ce qu’elle fait ; au jour de la grande addition de la Conscience devant l’Idéal, elle sera étiquetée d’un piteux idem dans la colonne des évolutions miniatures de l’Évolution Unique, dans la colonne des quantités négligeables. — Et puis, des mots, des mots, des mots ! Ce sera là ma devise tant qu’on ne m’aura pas démontré que nos langues riment bien à une réalité transcendante. — Quant à moi, avec mon génie, je pourrais être ce qu’on appelle communément un Messie ; mais voilà, trop, trop gâté comme un Benjamin par la Nature. Je comprends tout, j’adore tout, et veux tout féconder. C’est pourquoi, comme je l’ai gravé au mur de mon lit en un distique également rossard :


Ma rare faculté d’assimilation
Contrariera le cours de ma vocation.


Ah ! que je m’ennuie donc supérieurement ! — Eh bien, qu’est-ce que j’attends ici ? — La mort ! La mort ! Ah ! est-ce qu’on a le temps d’y penser, si bien doué que l’on soit ? Moi, mourir ! Allons donc ! Nous en recauserons plus tard, nous avons le temps. — Mourir ! c’est entendu, on meurt sans s’en apercevoir comme chaque soir on entre en sommeil.