Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/65

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poupées de cire, attire aussi là, comme ailleurs, quelques phtisiques, race à pas lents mais chère au dilettante.

On jouait dans ce Casino, autrefois ! (ô époques brillantes et irresponsables, que mon cœur de fol, que mon cœur vous pleure !) Depuis qu’on n’y joue plus (ô ombre du prince Canino toujours flanqué de son fidèle Leporello, quel fossoyeur incompris vous soigne ?) les salles en sont bien désertées, avec leurs inutiles gardiens décorés, en drap bleu à boutons de métal. La salle où on lit les journaux, toujours solides au poste, eux, a toujours, pour vous en chasser, quelqu’un de ces névropathes dont le bruit de déglutition automatique vous fait tomber le Temps des mains. L’ancienne salle de jeu n’a plus que des toupies hollandaises, des jockey-billards, des vitrines de lots pour loteries enfantines et, dans les coins, des installations pour joueurs de dames et d’échecs. Une autre salle sert de remise du piano à queue d’antan, — ô ballades incurablement romanesques de Chopin, encore une génération que vous avez enterrée ! tandis que la jeune fille qui vous joue ce matin, aime, croit que l’amour n’a pas été connu avant elle, n’a pas été connu avant la venue de son cœur distingué et dépareillé, et s’apitoie, ô ballades, sur vos exils incompris. Nul ne soulève aujourd’hui la draperie à fleurs fanées qui couvre ce piano d’antan ; mais les courants d’air des belles soirées hasardent d’étranges arpèges d’harmonica dans les stalactites de cristal de ce lustre qui éclaira tant d’épaules bien nourries dansant sur les airs coupables d’Offenbach.

Ah ! mais aussi, de la terrasse du coupable Casino d’antan,