Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/76

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une coupe trop accusée, un fini trop résistant, à la désagrégation en dehors des modes et sans défense de celle qui devait la porter !

Il faut admettre que le sang bestial qui coulait là, bu lentement par le sable de l’arène, supplantait celui de son cauchemar normal.

Décemment, sans un haut-le-cœur, elle avait exulté déjà devant six haridelles éventrées à l’aveugle, quatre taureaux lardés d’entailles et finalement enferrés, et deux banderilleros culbutés, l’un même blessé à la cuisse. Elle retenait chaque fois le bras du gouverneur-président, quand le cirque entier lui intimait, de ses mille mouchoirs agités, d’agiter le sien pour faire cesser le massacre des chevaux des picadores et appeler les banderilleros.

— Oh ! pas encore, signor presidente, un engagement, encore, c’est le plus beau...

Au cinquième taureau, une bordée de quolibets s’était abattue sur le trop faible signor presidente. Deux chevaux gisaient râlant tendrement dans les pattes l’un de l’autre attendant qu’on les achevât ; on en ramenait deux autres perdant des paquets de boyaux. Enfin, sur un signe, les lourds picadores vêtus de jaune s’étaient retirés laissant le taureau seul, dans un silence prêt, en face du banderillero qui l’attendait avec ses deux enrubannées javelines en arrêt. Il saignait, le pauvre taureau, de maintes éraflures très réussies (c’est-à-dire à fleur de chair pour exaspérer sans affaiblir). Il bondit, puis tourna court, revenant flairer et retourner de ses petites cornes les masses flasques des deux chevaux gisants, et se