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notice sur la vie et les ouvrages

pas insensible aux charmes de la musique. En effet, quand une réunion était nombreuse, il n’était pas fâché qu’un concert vint interrompre les conversations et fixer toutes les attentions. Dans une de ces occasions, je lui demandais ce qu’il pensait de la musique : Je l’aime parce qu’elle m’isole ; j’en écoute les trois premières mesures, à la quatrième je ne distingue plus rien, je me livre à mes réflexions, rien ne m’interrompt, et c’est ainsi que j’ai résolu plus d’un problème difficile. Ainsi, pour lui, la plus belle œuvre de musique devait être celle à laquelle il avait dû les inspirations les plus heureuses.

Quoiqu’il fût doué d’une figure vénérable, sur laquelle se peignait son beau caractère, jamais il n’avait voulu consentir que l’on fît son portrait ; plus d’une fois, par une adresse fort excusable, on s’était introduit aux séances de l’Institut, pour le dessiner à son insu. Un artiste, envoyé par l’Académie de Turin, traça de cette manière l’esquisse d’après laquelle il a fait le buste qui a été plusieurs mois exposé dans la salle de nos séances particulières ; et qui orne aujourd’hui notre bibliothèque. Ses traits ont été moulés après sa mort, et précédemment, pendant qu’il sommeillait, on en avait fait un dessin qu’on dit fort ressemblant.

Doux, et même timide dans la conversation, il aimait particulièrement à interroger, soit pour faire valoir les autres, soit pour ajouter leurs réflexions à ses vastes connaissances. Quand il parlait, c’était toujours sur le ton du doute, et sa première phrase commençant ordinairement par je ne sais pas. Il respectait toutes les opinions, était bien éloigné de donner les siennes pour des règles ; ce n’est pas qu’il fût aisé de l’en faire changer, et qu’il ne les défendît parfois avec une chaleur qui allait croissant jusqu’à ce qu’il s’aperçût de quelque altération en lui-même ; alors il revenait à