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Ces grands enfants des bois peuvent quelquefois donner des leçons de courage aux blancs ; mais celui-ci semblait tellement accablé, quoique muet dans sa douleur, que toutes les sympathies convergèrent naturellement vers lui, aucune autre perte de vie n’ayant été signalée durant la tempête.


XI


La misère était venue, cette année-là, frapper à la porte de tous les pêcheurs de la Côte ; mais ceux de la Rivière-au-Tonnerre eurent à souffrir plus que les autres. La pêche à la morue, qui avait été réduite des trois quarts partout ailleurs, avait complètement fait défaut à cet endroit. Les marsouins blancs qui, jusque-là, confinaient leurs évolutions entre l’embouchure du Saguenay et la baie des Sept-Îles, s’étaient multipliés au point de ne plus trouver leur nourriture à dévorer les poissons d’eau douce. Ils s’attaquaient maintenant à la morue sur la Côte et la chassaient devant eux avec le pain des habitants.

La moitié des barques des pêcheurs, soit une cinquantaine, étaient ancrées, immobiles, dans la petite anse en face du bourg à l’abri des tempêtes, attendant des temps meilleurs pour reprendre leur tâche quotidienne.

— Nous n’avons pas mangé de morue depuis quinze jours ou un mois ! telle était la lamentation quotidienne des femmes et des enfants.

Que faire devant ce désastre pour nourrir ces bouches qui demandent du pain ?

Pour subvenir aux besoins de leurs familles, ces pêcheurs de métier durent s’improviser hommes de chantiers (et pour eux c’était comme transplanter un fermier dans une mine de charbon) pour la coupe du bois, au service des grandes compagnies anglaises ou américaines qui faisaient le commerce de bois dans le bas du fleuve. Ils auraient bien eu recours à la pêche au saumon qui abondait dans