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de l’opinion de Bazile : que ça ne sentait pas bon et, hasarda ce dernier : ça sent la poudre anglaise !

Les jeunes, Gabriel et Évangéline, écoutaient les vieux, et ils eurent comme un pressentiment que ça dérangerait leur mariage. On signa tout de même le contrat. Les vieux allumèrent leur pipe avec le notaire et causèrent à voix basse. À tout instant, Bazile sursautait et regardait par la fenêtre, puis il se rasseyait, pendant que les fiancés luisaient des projets d’avenir.

Gabriel disait à Évangeline que ce n’était pas qu’une seule « caillette » qu’elle aurait, mais deux et plus tard trois. Il lui disait aussi qu’il lui donnerait un beau ménage et qu’ils auraient des enfants, beaux comme leur mère, et en abondance. Évangéline dont la figure rayonnait de bonheur, répondait qu’elle aurait bien soin de tout cela, qu’elle lui ferait une bonne cuisine et qu’elle n’épargnerait rien pour le rendre heureux.

Le père Bazile était toujours moins qu’à son aise. En sortant sur le perron, il regarda vers la mer et vit que les frégates anglaises étaient toujours là. Il leur lança un regard de défi et murmura entre ses lèvres : Force pour force et homme pour homme, j’aurais tôt fait leur affaire à ces effrontés-là. Si ses yeux eussent été des canons, il les aurait bien coulées toutes les deux, les corvettes anglaises ; mais il n’avait même pas le droit de garder un fusil de chasse dans sa maison. La main crispée sur la clenche de la porte, il regardait dans le lointain, quand il vit une lumière s’allumer sur le bateau. Dans sa colère, il arracha sans s’en rendre compte la clenche de la porte.

— Mais laisse-moi ma porte au moins, dit doucement le père Bellefontaine.

— Ça en fera moins aux Anglais à emporter, répondit Bazile, prophétisant sans s’en rendre compte.

Gabriel donna un baiser sur le beau front d’Évangéline et chacun rentra chez soi.

Après qu’il fut couché, le père Bazile ne dormit pas. Il se levait à tout moment pour aller voir à la fenêtre qui donnait sur la mer.