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V


Deux semaines s’écoulèrent ainsi avant que la curiosité des villageois ne fût satisfaite, quand, par un beau matin, au lever du soleil, ils furent éveillés par le ronronnement de l’avion et le crépitement d’une mitrailleuse, suivis de détonations qui faisaient voler l’eau en l’air à vingt-cinq ou trente pieds.

Tous s’habillèrent précipitamment et volèrent, plutôt qu’ils ne marchèrent, vers la grève où ils virent, flottant sur l’eau, le ventre au soleil, une mer de marsouins blancs que la mitraille et la dynamite avaient détruits.

— Vite, les chaloupes à la mer ! commanda le curé qui avait précédé la population sur la grève.

— Cueillons la manne pendant qu’elle passe ! continua-t-il sans attendre de réponse de personne.

Tout ce qu’il y avait de barques et de chaloupes disponibles fut employé à ramener à terre, au moyen d’estacades flottantes, les marsouins, dont on compta du premier coup trois cent douze.

Le curé était au comble de la joie. Son idée avait eu un plein succès.

— Notre-Dame de la Garde m’a bien inspiré, disait-il. Ils ont bien pu rire de moi dans leur barbe au ministère, mais je savais que j’avais raison. Les marsouins n’ont qu’à se bien tenir.

— Faisons une ovation au capitaine pour son succès ! continua-t-il enthousiasmé.

Au retour de Jacques la foule massée sur la grève le reçut au milieu des applaudissements.

— Vive le capitaine Vigneault !

— Mort aux marsouins !

— Vive notre bon curé ! dit seul Pierre Guillou, et la foule répéta les mêmes vivats après lui.

— Remercions Notre-Dame de la Garde ! dit le curé, se mettant à genoux après avoir enlevé son chapeau.