Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/15

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sanctification qui est l’œuvre de l’humanité par excellence ; vouloir que l’homme entre avec ses facultés tout entières dans les sanctuaires, et qu’il ne laisse pas sa raison à la porte de ses temples comme le mahométan laisse ses sandales pour les retrouver après la prière ; vouloir que la raison soit religieuse et que la religion soit rationnelle, est-ce là attaquer le christianisme, ou n’est-ce pas plutôt lui préparer un règne plus unanime et plus absolu ? Le feu qui épure l’or des scories de la terre lui ôte-t-il quelque chose de son poids, de son éclat et de son prix ?

Maintenant dirai-je un mot des non-sens politiques dont on m’a prêté l’intention à propos de quelques vers de cette huitième vision où le prophète dit à ces hommes primitifs et imaginaires : « N’ayez ni juges ni rois, et gouvernez-vous par la seule justice de vos consciences et par la seule force de vos vertus ? » On en a conclu que je ne voulais ni tribunaux, ni mécanisme social, ni gouvernement. On pourrait prêter la même intention de subversion anarchique à toute philosophie et à toute religion qui disent aussi aux hommes : « Soyez tous également parfaits, et, quand vous serez parfaits, vous n’aurez plus besoin de lois écrites ni de juges rémunérateurs ; votre loi sera votre perfection même. » C’est là ce qu’il faut toujours dire aux hommes, et la voix même de Dieu, qui les appelle incessamment à cet état parfait, est peut-être une raison d’espérer qu’ils pourront un jour y arriver. Mais si l’on suppose que, dans l’état connu et réel de l’humanité, je sois assez dépourvu du sens des réalités pour dire aux hommes : « Brisez ce magnifique phénomène de la société civile, chassez vos rois, destituez vos juges, licenciez vos forces et fiez-vous à l’égoïsme individuel, à la désorganisation et à l’anarchie ; » en vérité, on me fait trop d’hon-