Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/271

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La voix de la victime et le bruit du supplice
Leur étaient remontés du fond du précipice ;
Ils attendaient pour eux les tourments du vieillard,
Et leurs yeux se parlaient dans un dernier regard.
Mais les hommes de sang, adoucissant leur rage,
Comme on prend deux oiseaux sans froisser le plumage,
Ouvrant leurs rudes mains pour saisir ces beaux corps,
Les soulèvent de terre et les portent dehors,
Les couchent à leurs pieds au fond de la nacelle,
Et font bondir du sol leur esquif qui chancelle.
Cédar et son amante, en sentant fuir le sol,
Croyaient qu’un grand oiseau les emportait au vol,
Et, ne comprenant rien à l’étrange mystère,
D’un éternel adieu se détachaient de terre.

Or ces chars, des mortels sublime invention,
Dans les âges voisins de la création,
Quand, sur les éléments conservant son empire,
L’homme imposait ses lois à tout ce qui respire,
N’étaient qu’un art humain, sacré, mystérieux,
Comme un secret divin conservé chez les dieux,
Et dont, pour frapper l’œil de l’aspect d’un prodige,
Les seuls initiés connaissaient le prestige.
Dans la profonde nuit de leur plus haute tour,
Des esclaves sacrés les dérobaient au jour :
Dans les solennités de leur culte terrible.
Le char, pendant la nuit, s’élevait invisible,
Puis dans l’air tout à coup de feux illuminé,
Planant comme un soleil sur le peuple étonné,