Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/334

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Leurs côtes se comptaient sur leurs flancs amaigris ;
Et les contours des seins, depuis longtemps taris,
Faisaient seuls reconnaître, à leurs ondes ridées,
Les mères sans enfants aux mamelles vidées.
Comme le vent d’hiver chasse à demi fondus
De blancs flocons de neige aux fanges confondus,
Où l’arbre a secoué les débris de ses branches,
Ainsi se déroulaient ces mille toisons blanches,
Qui laissaient entrevoir des crânes dépouillés,
Et les vieux dos sans chair des corps agenouillés.
Les dieux les bafouaient de paroles amères,
Sans penser que peut-être ils insultaient leurs mères ;
Un œil cruel et froid les jugeait en passant.
Dans leurs veines à sec on calculait le sang ;
Et quand, à la langueur de sa morne attitude,
Aux signes précurseurs de la décrépitude,
On jugeait qu’un vieillard, par la peine vaincu,
Pour servir et souffrir avait assez vécu,
Comme on traîne aux égouts des carcasses immondes,
Séparé des vivants, on le jetait aux ondes ;
Et de leur proie humaine avertis par ses cris,
Les chiens sur le rivage attendaient les débris !

Par ceux qui s’avançaient au milieu de la vie
La troupe décharnée était bientôt suivie,
De ces cruels pasteurs fort et rude bétail,
Dévoué par le fouet aux sueurs du travail ;
Hommes, femmes, groupés, confondus pêle-mêle,
Comme le bœuf ou l’âne, ou la brute qui bêle,