Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/337

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Par leur œuvre et leur nom ils les connaissaient tous ;
Mais, quand ils leur parlaient, leur langue était des coups.
Pour mieux dompter le corps, ils persécutaient l’âme.
S’ils voyaient se former entre l’homme et la femme
Un de ces forts liens, un de ces saints amours
Qui, pénétrant les cœurs, les joignent pour toujours,
De peur que ce lien que la nature serre
Ne fît naître les noms de fils, d’époux, de père,
Ils arrachaient la femme aux bras de son époux
Pour qu’aucun ne connût le fruit commun à tous.

C’était le peuple. Après cette innombrable armée,
De tout rang, de tout art, de tout sexe formée,
Ainsi qu’une saison suit l’autre dans son temps,
Marchait l’immense essaim des vierges ; doux printemps
Qu’attendait pour faner ses roses matinales
Le souffle empoisonneur des grandes bacchanales.
De longs voiles flottants qui traînaient sur leurs pas
Ornaient sans les cacher leurs pudiques appas.
Des instruments plus doux, qui vibraient en cadence,
Imprimaient à leurs pieds la grâce d’une danse ;
La musique réglait leurs génuflexions ;
Leur file déroulait ses mille inflexions.
Telle on voit en automne une immense avenue
De pâles peupliers élancés vers la nue,
Sous l’aquilon qui passe ensemble s’abaisser,
Et comme un seul roseau soudain se redresser,
Telles, en s’écoulant dans la divine enceinte,
Ces vierges s’inclinaient sous la volonté sainte.