Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avant que des bourreaux son geste ait été vu,
Se jetant sur leurs mains d’un élan imprévu,
Elle arrache ses fils à leur cruelle serre,
Les étreint sur son cœur, les embrasse, les serre,
Les laisse, les reprend, roule son front sur eux,
Les couvre sur leurs corps de baisers plus nombreux
Que l’orage du cœur n’a de gouttes de pluie ;
Les baigne de ses yeux, des lèvres les essuie ;
Puis, les pressant sur elle à les faire crier,
D’un regard qui paraît défier et prier,
Regarde les bourreaux un moment en silence,
Aux genoux d’Asrafiel avec ardeur s’élance,
Et serrant sur son sein ses enfants d’une main,
De l’autre saisissant le bras du monstre humain,
De la foudre du cœur, que son coup d’œil lui darde,
L’attendrit, le foudroie : « Oh ! dit-elle, oh ! regarde,
Suppliant à tes pieds ces innocents agneaux !
Des mères de tes dieux les fils sont-ils plus beaux ?
Oh ! touche cette chair d’ivoire, où la tigresse
Changerait, en léchant, sa morsure en caresse !
Vois ces yeux où tes yeux se reflètent ; oh ! vois
Comme ils touchent tes pieds avec leurs petits doigts ! »
Puis, avec cet instinct rapide de la mère,
Sur les traits d’Asrafiel voyant la joie amère,
Et comprenant soudain qu’il avait découvert
Le seul point sans défense où son cœur fût ouvert,
Du sol où se courbait sa face prosternée,
Relevant les enfants d’une main forcenée,
Et changeant tout à coup de figure et de voix,
Elle se retourna comme un cerf aux abois :