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plus âgés avaient, jusqu’à un certain point, la responsabilité de moi. Je ne recevais ni mauvais exemples ni mauvais conseils parmi eux. Le respect et l’amour que tout ce peuple avait pour mon père et pour ma mère rejaillissaient sur moi, tant le pays m’était comme une famille dont j’étais, pour ainsi dire, l’enfant commun et de prédilection.

Je n’aurais jamais songé à désirer une autre vie que celle-là. Ma mère, qui craignait pour moi le danger des éducations publiques, aurait voulu prolonger éternellement aussi cette heureuse enfance. Mais mon père et ses frères, dont j’aurai à parler bientôt, voyaient avec inquiétude que j’allais toucher à ma douzième année dans quelques mois, bientôt a l’adolescence, et que l’âge viril me surprendrait dans une trop grande infériorité d’instruction et de discipline avec les hommes de mon âge et de ma condition. Ils s’en alarmaient tout haut. J’entendais, à ce sujet, des représentations vives à ma pauvre mère. Elle pleurait souvent. L’orage passait et se brisait contre l’imperturbabilité de sa tendresse et contre l’énergie de sa volonté si flexible et pourtant si constante. Mais l’orage revenait tous les jours.

L’aîné de mes oncles était un homme d’autrefois ; il était bon, mais il n’était nullement tendre. Élevé dans la rude et stricte école de la vie militaire, il ne concevait que l’éducation commune. Il voulait que l’homme fût formé par le contact des hommes ; il craignait que cette tendresse de mère interposée toujours entre l’enfant et les réalités de la vie n’énervât trop la virilité du caractère. De plus, il était fort instruit, savant même et écrivain. Il voyait bien que je n’apprendrais jamais rien dans la maison de mon père qu’à bien vivre et à vivre heureux. Il voulait davantage.