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qui aiment, qui chantent, comme nous pensons, comme nous chantons, comme nous aimons, nous, hommes des nouveaux jours : le Tasse, le Dante, Pétrarque, Shakspeare, Milton, Chateaubriand, qui chantait alors comme eux, Ossian surtout, ce poëte du vague, ce brouillard de l’imagination, cette plainte inarticulée des mers du Nord, cette écume des grèves, ce gémissement des ombres, ce roulis des nuages autour des pics tempétueux de l’Écosse, ce Dante septentrional, aussi grand, aussi majestueux, aussi surnaturel que le Dante de Florence, plus sensible que lui, et qui arrache souvent à ses fantômes des cris plus humains et plus déchirants que ceux des héros d’Homère.


VI


C’était le moment où Ossian, le poëte de ce génie des ruines et des batailles, régnait sur l’imagination de la France. Baour-Lormian le traduisait en vers sonores pour les camps de l’empereur. Les femmes le chantaient en romances plaintives ou en fanfares triomphales au départ, sur la tombe ou au retour de leurs amants. De petites éditions en volumes portatifs se glissaient dans toutes les bibliothèques. Il m’en tomba une sous la main. Je m’abîmai dans cet océan d’ombres, de sang, de larmes, de fantômes, d’écume, de neige, de brumes, de frimas, et d’images dont l’immensité, le demi-jour et la tristesse correspondaient si bien à la mélancolie grandiose d’une âme de seize ans qui ouvre ses premiers rayons sur l’infini. Ossian, ses sites et ses images correspondaient merveilleusement aussi à la nature du pays des montagnes