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et les prés, me retournant sans cesse pour voir l’ombre des hautes murailles se découper sur le firmament : heureux quand j’apercevais briller un moment une petite lumière à la fenêtre de la tourelle haute qui dominait le torrent où je savais qu’elle lisait en attendant le sommeil.

Tous les jours je m’acheminais, sous un prétexte quelconque, de ce côté de la vallée, mon fusil sous le bras, mon chien sur mes pas. Je passais des heures entières à rôder en vue du vieux manoir, sans entendre d’autre bruit que la voix des chiens de garde qui hurlaient de joie en jouant avec leur jeune maîtresse, sans voir autre chose que la fumée qui s’élevait du toit dans le ciel gris. Quelquefois cependant je la découvrais elle-même en robe blanche à peine agrafée autour du cou ; elle ouvrait sa fenêtre au rayon matinal ou au vent du midi ; elle posait un pot de fleurs sur le rebord pour faire respirer à la plante renfermée l’air du ciel, ou bien elle suspendait à un clou la cage de son chardonneret que baisaient ses lèvres entre les barreaux.

Elle s’accordait quelquefois longtemps pour regarder écumer le torrent et courir les nuages, et ses beaux cheveux noirs pendaient en dehors, fouettés contre le mur par le vent d’hiver. Elle ne se doutait pas qu’un regard ami suivait, du bord opposé du ravin, tous ses mouvements, et qu’une bouche entr'ouverte cherchait à reconnaître dans les saveurs de l'air les vagues du vent qui avaient touché ses cheveux et emporté leur odeur dans les prés. Le soir, je lui disais timidement que j’avais passé en vue de sa maison dans la journée ; qu’elle avait arrosé sa plante à telle heure ; qu’a telle autre elle avait exposé son oiseau au soleil ; qu'ensuite elle avait rêvé un moment à sa fenêtre ; qu’après elle avait chanté ou tou-