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l’avait fixée à la proue pour la protéger contre le mauvais temps. Ô saint impitoyable ! Comment s’est-il montré reconnaissant ? Qu’a-t-il fait de mon fils, de sa femme et de la barque qu’il nous avait laissée après lui pour gagner la vie de ses pauvres enfants ? Comment s’est-il protégé lui-même, et où est-elle, son image, jouet des flots ? »

« Mère ! mère ! » s’écria un des enfants en ramassant sur la grève, entre deux rochers, un éclat du bateau laissé à sec par une lame, « voilà le saint ! » La pauvre femme oublia toute sa colère et tous ses blasphèmes, s’élança, les pieds dans l’eau, vers l’enfant, prit le morceau de planche sculpté par son fils, et le colla sur ses lèvres en le couvrant de larmes. Puis elle alla se rasseoir et ne dit plus rien.


XVI


Nous aidâmes Beppo et le vieillard à recueillir un à un tous les morceaux de la barque. Nous tirâmes la quille mutilée plus avant sur la plage. Nous fîmes un monceau de ces débris, dont quelques planches et les ferrures pouvaient servir encore à ces pauvres gens ; nous roulâmes par-dessus de grosses pierres, afin que les vagues, si elles montaient, ne dispersassent pas ces chers restes de l’esquif, et nous remontâmes, tristes et bien loin derrière nos hôtes, à la maison. L’absence de bateau et l’état de la mer ne nous permettaient pas de partir.

Après avoir pris, les yeux baissés et sans dire un mot, un morceau de pain et du lait de chèvre que Graziella