Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lumière allait faire jaillir le sens intellectuel à mes yeux et éclore plus vite les paroles sur mes lèvres. Je repoussais en souriant la lampe de la main sans détourner mon regard de la page, et je sentais mes doigts tout chauds de ses pleurs.


XV


Quand je fus arrivé au moment où Virginie, rappelée en France par sa tante, sent, pour ainsi dire, le déchirement de son être en deux, et s’efforce de consoler Paul sous les bananiers, en lui parlant de retour et en lui montrant la mer qui va l’emporter, je fermai le volume et je remis la lecture au lendemain.

Ce fut un coup au cœur de ces pauvres gens. Graziella se mit à genoux devant moi, puis devant mon ami, pour nous supplier d’achever l’histoire. Mais ce fut en vain. Nous voulions prolonger l’intérêt pour elle, le charme de l’épreuve pour nous. Elle arracha alors le livre de mes mains. Elle l’ouvrit, comme si elle eût pu, à force de volonté, en comprendre les caractères. Elle lui parla, elle l’embrassa. Elle le remit respectueusement sur mes genoux, en joignant les mains et en me regardant en suppliante.

Sa physionomie si sereine et si souriante dans le calme, mais un peu austère, avait pris tout à coup dans la passion et dans l’attendrissement sympathique de ce récit quelque chose de l’animation, du désordre et du pathétique du drame. On eût dit qu’une révolution subite avait changé ce beau marbre en chair et en larmes. La jeune fille sentait son âme, jusque-là dormante, se révéler