Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/296

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à rentrer dans les rangs de la nation et à attendre là les occasions de servir utilement notre cause trahie par la fortune, mais non par le droit. Les voix les plus passionnées et les plus nombreuses proposaient de porter notre drapeau en Belgique et d’attacher notre fortune aux pas du roi que nous avions juré de défendre. On parlait avec animation et avec cette éloquence militaire qui déroule les plis du drapeau et qui accompagne les paroles du geste et du retentissement du sabre. Ce fut la première fois que je parlai au public. Aimé de beaucoup de mes camarades et honoré, malgré mon extrême jeunesse, d’une certaine autorité parmi eux, je montai, à la prière de quelques-uns de mes amis, sur le moyeu de la roue d’un caisson, et je répondis à un mousquetaire qui avait fortement et brillamment remué les esprits en parlant en faveur de l’émigration.

J’étais aussi ennemi de Bonaparte et aussi dévoué à une restauration libérale que qui que ce fût dans l’armée ; mais je sortais d’une famille qui ne s’était jamais détachée du pays et qui croyait aux droits de la patrie comme nos aïeux croyaient au droit du trône. Mon père et ses frères appartenaient à cette génération de la noblesse française vivant dans les provinces et dans les camps, loin des cours, en détestant les abus, en méprisant la corruption, amis de Mirabeau et des premiers constitutionnels, ennemis des crimes de la révolution, partisans constants et modérés de ses principes. Aucun d’eux n’avait émigré. Coblentz leur répugnait comme une folie et comme une faute. Ils avaient préféré le rôle de victimes de la révolution au rôle d’auxiliaires des ennemis de leur pays. J’avais été nourri dans ces idées ; elles avaient coulé dans mes veines : la politique est dans le sang.