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l’empire. Je ne voulus ni l’un ni l’autre. Je déclarai à mon père que j’aimerais mieux mourir fusillé par les ordres de Bonaparte que de donner une goutte de mon sang ou une goutte du sang d’un autre au service et au maintien de ce que j’appelais la tyrannie. Je sentais que cette résolution, hautement et fermement proclamée par le fils, pourrait compromettre le père si on l’en rendait responsable, et je résolus de m’éloigner.

La Suisse était neutre. Je pris quelques louis dans la bourse de ma mère, et je partis une nuit, sans passe-port, pour les Alpes.


IV


Mon grand-père avait possédé de grands biens dans la Franche-Comté, entre Saint-Claude et la frontière du pays de Vaud. Ces biens ne nous appartenaient plus, mais ils avaient été acquis par d’anciens agents de ma famille, à qui mon nom ne serait pas inconnu. Je parvins, sans être arrêté, jusqu’à leur demeure, au pied des forêts de sapins qui touchent aux deux territoires de Suisse et de France. Ils me reçurent comme le petit-fils de l’ancien propriétaire de ces forêts. Ils me cachèrent quelques jours chez eux. J’y laissai mes habits de ville. J’empruntai d’un des fils de la maison une veste de toile, comme les paysans de la Franche-Comté en portent, et, un fusil sur l’épaule, je passai en Suisse au milieu des vedettes et des douaniers, qui me prirent pour un chasseur des environs. Arrivé sur le sommet de Saint-Cergue, d’où le regard embrasse le lac de Genève et la ceinture de montagnes gigantesques qui l’entourent, je