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moire d’enfant comme l’empreinte d’un être antédiluvien dans la pierre de nos montagnes.

D’Alembert, Laclos, madame de Genlis, Buffon, Florian, l’historien anglais Gibbon, Grimm, Morellet, M. Necker, les hommes d’État, les gens de lettres, les philosophes du temps, vivaient dans la société de madame des Roys. Elle avait eu surtout des relations avec le plus immortel d’entre eux, Jean-Jacques Rousseau. Ma mère, quoique très-pieuse et très-étroitement attachée au dogme catholique, avait conservé une tendre admiration pour ce grand homme, sans doute parce qu’il avait plus qu’un génie, parce qu’il avait une âme. Elle n’était pas de la religion de son génie, mais elle était de la religion de son cœur.


VIII


Le duc d’Orléans, comte de Beaujolais aussi, avait la nomination d’un certain nombre de dames au chapitre de Salles, qui dépendait de son duché. C’est ainsi et c’est par lui que ma mère y fut nommée a l’âge de quinze à seize ans. J’ai encore un portrait d’elle fait à cet âge, indépendamment du portrait que toutes ses sœurs et que mon père lui-même nous ont si souvent tracé de mémoire. Elle est représentée dans son costume de chanoinesse. On voit une jeune personne, grande, élancée, d’une taille flexible, avec de beaux bras blancs sortant, à la hauteur du coude, des manches étroites d’une robe noire. Sur la poitrine est attachée la petite croix d’or du chapitre. Par-dessus ses cheveux noirs tombe et flotte, des deux côtés de la tête, un voile de dentelles moins noires que