Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rante qui écrit ses murmures et qui les chante ; mais nous les écrivons avec les notes de l’homme, et la nature avec les notes de Dieu.

Après avoir quitté définitivement le service, je rentrai dans la maison paternelle, et je repris mes voyages. Ils me portaient souvent vers les Alpes. C’est ici le lieu de parler d’un homme qui m’y attirait le plus. Cet homme était le baron Louis de Vignet. Il est mort, il y a peu d’années, ambassadeur de Sardaigne à Naples. Sa tombe renferme une des plus chères reliques de la vie de mon cœur. Que peut l’homme pour l’homme qui n’est plus ? Bien qu’une froide épitaphe. La pierre garde la mémoire plus longtemps que le cœur ; c’est pour cela qu’on grave un nom et un mot sur un sépulcre. Mais quand la génération est éteinte, les hommes qui passent ne comprennent plus ni le mot ni le nom. Il faut donc les expliquer.

Louis de Vignet, que je connus au collège, était fils d’un sénateur de Chambéry, et neveu par sa mère du comte Joseph de Maistre, le philosophe, et du comte Xavier de Maistre, le Sterne du siècle, mais le Sterne plus sensible et plus naturel que l’écrivain anglais.

Louis de Vignet et moi nous étions, au collège des jésuites, les deux enfants rivaux qui se disputaient toutes les palmes que l’orgueil imprudent des maîtres se plaisait ât présenter à l’émulation de leurs condisciples. Plus âgé que moi de quelques années, d’une pensée plus mûre, d’une volonté plus forte à son œuvre, il l’emportait souvent. Je n’étais point jaloux ; la nature ne m’avait pas fait envieux. Quant à lui, il paraissait peu satisfait de la victoire et humilié des défaites. C’étaient l’Italien et le Français aux prises. Nos deux natures présentaient dans le visage comme dans le caractère le contraste de ces deux types nationaux. Vignet était un grand jeune