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le hasard nous réunit à Chambéry, où je passais quelques jours en revenant d’une course dans les Alpes. J’étais alors dans toute l’ébullition de mes plus vertes et de mes plus âpres années. Il n’y avait ni assez d’air dans le ciel, ni assez de feu dans le soleil, ni assez d’espace sur la terre pour le besoin d’aspiration, d’agitation et de combustion qui me dévorait. J’étais une fièvre vivante ; j’en avais le délire et l’inquiétude dans tous les membres. Les habitudes régulières de mes années d’étude et la douce piété de ma mère et de nos maîtres étaient loin de moi. Mes amitiés se profanaient au hasard comme mes sentiments. J’étais lié avec ce qu’il y avait de plus évaporé et de plus turbulent sous des formes heureuses, dans la jeunesse de mon pays et de mon époque. J’allais aux égarements par toutes les pentes, et cependant ces égarements me répugnaient. Ils n’étaient que d’imitation et non de nature. Quand j’étais seul, la solitude me purifiait.

C’est dans ces dispositions que je rencontrai Vignet. J’eus peine à le reconnaître. Jamais si peu d’années n’avaient opéré un changement si complet dans une physionomie. Je vis un jeune homme au maintien modeste, à la démarche lente et pensive, au timbre de parole sonore et caressant, à la figure reposée et harmonieuse, voilée seulement d’une ombre de mélancolie. Il vint à moi plutôt comme un père à son enfant que comme un jeune homme et son camarade. Il m’embrassa avec attendrissement. Il s’accusa de mauvaises jalousies que nos rivalités de succès dans les lettres lui avaient autrefois inspirées ; il me dit qu'il ne lui en restait dans l’âme que la honte, le repentir et le désir passionné de se lier pour la vie avec moi d’une indissoluble amitié. Ses traits, ses gestes, la limpidité de ses yeux bleus, correspon-