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puscule d’hiver. Avant d’avoir vécu, j’étais lassé de vivre. Je me retirais, pour ainsi dire, de l’existence dans un recueillement désenchanté, et dans cette solitude du cœur que l’homme se fait quelquefois à lui-même en coupant tous ses rapports avec le monde et en se séparant de toute participation au mouvement qui l’agite. Sorte de vieillesse anticipée et volontaire dans laquelle on se réfugie avant les années, mais vieillesse fausse et feinte qui couve sous son apparente froideur des jeunesses plus chaudes et plus orageuses que celles qu’on a déjà traversées.

Toute la famille était absente. Le père chez un de mes oncles, à la chasse dans les forêts de Bourgogne. La mère en voyage. Les sœurs dispersées ou au couvent. Je passai tout un long été entièrement seul, enfermé avec une vieille servante, mon cheval et mon chien, dans la maison de mon père, à Milly. Ce hameau bâti en pierres grises, au pied d’une montagne tapissée de buis, avec son clocher en pyramide, dont les assises semblent calcinées par le soleil, ses sentiers roides, rocailleux, tortueux, bordés de masures et de fumier, et ses maisons couvertes en laves noircies par les ondées, où végètent des mousses carbonées comme la suie, rappelle tout à fait un village de Calabre ou d’Espagne.

Cette aridité, cette pauvreté, cette calcination, cette privation d’eau, d’ombre, de vie végétale, me plaisaient. Il me semblait que cette nature était ainsi mieux en rapport avec mon âme. J’étais moi-même un cep de cette colline, un chevreau de ce rocher, un bois sans fleur de ces buissons. Ce silence inusité de la maison paternelle, cette solitude du jardin, ces chambres vides, me rappelaient un tombeau. Cette idée d’un sépulcre ne messeyait pas à mon imagination. Je me sentais ou je voulais me sentir mort. J’aimais ce linceul de pierre dans lequel