Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/382

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son île sur des claies d’osier, au soleil, sans autre coiffure que ses cheveux, et qui gagnait son pain en frottant le corail contre la meule, à deux grains par jour ?… Quelle amante pour un jeune homme qui a traduit Tibulle et qui a lu Dorat et Parny !… »

Vanité ! vanité ! tu perds les cœurs ! tu renverses la nature. Il n’y a pas assez de blasphèmes sur mes lèvres contre toi !…

Mon bonheur, pourtant, mon amour était là. Oh ! si un soupir plus triste que le gémissement des eaux dans cet abîme, plus ardent que ce rayon répercuté vers le ciel par ce rocher rouge de feu, pouvait te ranimer !… J*irais, je laverais tes beaux pieds nus de mes larmes… tu me pardonnerais… Je serais fier de mon abaissement pour toi aux yeux du monde !…

Je te revois comme si trois ans d’oubli et l’épaisseur du cercueil et du gazon de ta tombe n’étaient pas entre nous !… Tu es la ! une robe grise de grosse laine, mêlée de rudes poils de chèvre, serre ta taille d’enfant et tombe à plis lourds jusqu’à la cheville arrondie de tes jambes nues. Elle est nouée autour de ta poitrine par un simple cordon de fil noir. Tes cheveux noués derrière la tête sont entrelacés de deux ou trois œillets, fleurs rouges flétries de la veille. Tu es assise sur la terrasse pavée en ciment au bord de la mer où sèche le linge, où couvent les poules, où rampe le lézard, entre deux ou trois pots de réséda et de romarin. La poussière rouge du corail que tu as poli hier jonche le seuil de ta porte à côté de la mienne. Une petite table boiteuse est devant toi. Je suis debout derrière. Je te tiens la main pour guider tes doigts sur le papier et pour t’apprendre à former tes lettres. Tu t’appliques avec une contention d’esprit et une charmante gaucherie d’attitude qui couchent ta joue