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les flancs de la montée des Échelles, le pauvre José debout, adossé contre un des rocs de la route, son chien comme un point blanc près de lui. Il était tourné du côté de la Savoie, et, ayant détaché de son cou sa vielle, il en jouait un dernier adieu aux rochers de son pays et au cœur de sa chère Marguerite. La pauvre fille avait laissé tomber ses souliers de ses mains ; elle avait caché son visage dans son tablier, et elle sanglotait au bord du chemin en écoutant ces notes fugitives qui lui apportaient à chaque bouffée de vent les souvenirs des veillées dans l’étable et les espérances si éloignées du futur printemps.

Aucun de nous n’avait interrompu d’un vain mot de consolation ce dialogue aérien entre deux âmes auxquelles une planche de bois et une corde de laiton servaient d’interprète, et qu’elles faisaient communiquer une dernière fois ensemble à travers la distance et le temps qui les séparaient déjà.

Quand l’air fut fini et eut plongé son refrain mourant dans les dernières vibrations de l’atmosphère sonore du soir, Marguerite écouta encore un moment, regarda José, le vit disparaître peu à peu dans le creux de la descente, et se remit à marcher, les mains jointes sur son tablier. Dans sa distraction, elle avait oublié ses souliers sur la route. Je les ramassai, je m’avançai vers elle et je les lui présentai sans rien dire. Elle me remercia d’un léger sourire, et je l’entendis un moment après qui disait à sa mère : « Ce jeune homme est humain, regardez, il a l’air aussi triste que nous. »

Nous marchâmes en silence tous les quatre ensemble un certain espace de chemin. Quand nous fûmes à un carrefour où la route se bifurque, l’une continuant vers Chambéry, l’autre prenant à droite pour se diriger sous