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fut séparé du reste de la famille et enfermé dans la prison de Mâcon. Ma mère, qui me nourrissait alors, fut laissée seule dans l’hôtel de mon grand-père, sous la surveillance de quelques soldats de l’armée révolutionnaire. Et l’on s’étonne que les hommes dont la vie date de ces jours sinistres aient apporté, en naissant, un goût de tristesse et une empreinte de mélancolie dans le génie français ? Vírgile, Cicéron, Tibulle, Horace lui-même, qui imprimèrent ce caractère au génie romain, n’étaient-ils pas nés, comme nous, pendant les grandes guerres civiles de Rome et au bruit des proscriptions de Marius, de Sylla, de César ? Que l’on songe aux impressions de terreur ou de pitié qui agitèrent les flancs des femmes romaines pendant qu’elles portaient ces hommes dans leur sein ! Que l’on songe au lait aigri de larmes que je reçus moi-même de ma mère pendant que la famille entière était dans une captivité qui ne s’ouvrait que pour la mort ! pendant que l’époux qu’elle adorait était sur les degrés de l’échafaud, et que, captive elle-même dans sa maison déserte, des soldats féroces épiaient ses larmes pour lui faire un crime de sa tendresse et pour insulter à sa douleur !


IV


Sur les derrières de l’hôtel de mon grand-père, qui s’étendait d’une rue à l’autre, il y avait une petite maison basse et sombre qui communiquait avec la grande maison par un couloir obscur et par de petites cours étroites et humides comme des puits. Cette mai-