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capitaine de cavalerie ; il aurait cru déroger en avouant aux autres ou à lui-même une émotion féminine ; c’était un de ces hommes qui ont le respect humain de leurs qualités, la pudeur de leur vertu, et qui, en refoulant tous les signes extérieurs de leur sensibilité dans leur âme, ne font que la conserver plus jeune et plus vierge jusqu’à leurs jours avancés.

Cette habitude de sa nature forte et austère jetait entre lui et moi une certaine froideur de démonstrations qui pouvait tromper au premier coup d’œil. Nous nous aimions sévèrement, comme il convenait a des hommes ; lui avec dignité, moi avec respect ; le père était toujours père, le fils toujours fils. Sa sensibilité se cachait sous l’austérité et derrière la distance jusqu’à ses dernières années, où j’étais devenu homme et où il était devenu vieillard. Alors les rôles changèrent : c’est lui qui se laissait aimer, c’est moi qui aimais. Entre nous la sensibilité déborda.


IV


Je le regardais tout en marchant un peu en arrière de lui par crainte et par respect. Mon père était alors dans toute la virilité de l’homme. Ma taille, quoique très-élevée, atteignait à peine la sienne. Rien ne fléchissait encore et rien ne fléchit avant quatre-vingt-sept ans dans sa stature. Il portait ses années comme un chêne robuste de nos montagnes porte ses soixantièmes feuilles, en s’en décorant et sans plier, ou plutôt ses années le portaient droit et ferme sur la forte tige de vie que Dieu lui avait donnée. Sa