Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/433

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près d’ici le reste de tes jours. J’ai eu beau leur dire que Dieu donne des vocations différentes aux différentes natures d’esprit, et que les aptitudes sont les révélations de ces vocations diverses, que ces aptitudes refoulées et comprimées dans l’âme de ceux en qui elles se manifestent produisent des suicides lents des facultés divines ; que les passions légitimes de l’esprit, si on leur refuse l’air, se pervertissent en passions coupables ; que les refoulements préparent les explosions du cœur. Mes paroles et mes larmes même n’ont produit que des sarcasmes ou des irritations contre moi. Il n’y a rien de plus à tenter, il faut se soumettre à la volonté de Dieu ! Il faut se résigner à végéter et à languir auprès de nous. Hélas ! tout ce que pourra le cœur d’une mère pour t’adoucir cet exil, je l’aurai pour toi ; je souffrirai plus que toi-même de ton inaction et de la perte de tes belles années dans lesquelles, tu le sais, j’avais mis mon bonheur, mes espérances, ma gloire de mère ! Je te plaindrai, car je te comprends, moi ; je recevrai, je garderai dans mon cœur les tristes confidences de tes aspirations naturelles et trompées ; je chercherai, j’épierai, je ferai naître les occasions, si la Providence m’exauce, de te rouvrir quelque horizon plus large et plus digne de toi. Mais, je t’en conjure, mon enfant, ne fais ces confidences qu’à moi, ne montre ni tristesse ni dégoût de la vie présente sur ton visage ou dans tes paroles, surtout à ton pauvre père. Tu le désolerais sans rien changer à notre fortune. Il souffre lui-même comme moi de nos nécessités et de ton oisiveté ; mais, par amour pour ses enfants et par sollicitude pour leur avenir, il est forcé de ménager ses frères et ses sœurs, plus riches que lui, et qui possèdent tous les biens de la famille ; il se soumet à leurs idées, ne pouvant leur imposer les siennes ;