Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/507

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d’honneur plus que de religion ; comment enfin, revenu des pontons de Rochefort et des cachots de Paris, il avait profité de sa liberté et de sa belle fortune pour dépouiller les liens du sacerdoce, et pour vivre seul, en philosophe et en agriculteur, au fond des bois, où ses arbres du moins et ses troupeaux ne lui demanderaient pas compte de sa désertion.

Son château, une des plus vastes et des plus belles demeures de la province, était situé dans ce labyrinthe de montagnes noires, de gorges sombres et de monotones forêts qui forment le plateau le plus élevé de la Bourgogne, entre Semur et Dijon, à quatre ou cinq lieues de toute ville ; pays âpre, sauvage ; air de feu, ciel de neiges, Sibérie française, triste comme le Nord ; région de pasteurs et de bûcherons, où l’on marche des heures sans voir autre chose qu’un chêne pareil à un chêne, et un troupeau pareil à un troupeau. Les lignes de l’horizon, arrêtées par la noirceur des bois qui les couvrent, droites et roides comme des remparts tirés au cordeau, se dessinent toutes semblables aussi sur le ciel pâle et gris. C’est la monotonie des déserts entre le Caire et la mer Rouge, avant que les arbres soient devenus cendres et que le rocher soit devenu lave.

Sur un plateau étroit, au confluent de ces gorges, s’élève le château d’Urcy, véritable site d’abbaye. On n’apercevait qu’à travers les branches des grands chênes sa façade immense dentelée d’élégantes balustrades, ses quinze fenêtres à pleins cintres et leurs balcons de fer aux armoiries dorées, qui attestent la plus pure architecture italienne dépaysée au milieu de cette contrée de druides. Ce château, disent les paysans des environs, a été bâti pour les étoiles, car il n’y a qu’elles qui puissent le voir. Il est à une demi-heure de chemin du village.