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quoi j’ai pleuré ! » Cela apprend l’instabilité des sentiments et des choses ; cela fait apprécier les jouissances et les peines, non pas à leur prix du moment, qui nous trompe, mais au, prix seul de l’éternité, qui seule ne nous trompe pas ! »

J’écoutai ces paroles et j’obéis. Seulement je n’obéis pas à la lettre. Je n’écrivis pas tous les jours, comme ma mère, le jour écoulé. L’emportement de la vie, la fougue des passions, l’entraînement des lieux, des personnes, des pensées des choses, le dégoût d’une conscience souvent troublée, que je n’aurais contemplée qu’avec humiliation et avec douleur, m’empêchèrent de tenir ce registre de mes pas dans la vie avec la pieuse régularité de cette sainte femme. Mais de temps en temps, aux heures de calme où l’âme s’assoit, aux époques de solitude où le cœur rappelle à soi les tendresses et les images, aux temps morts de l’existence où l’on ne revit que du passé, j’écrivis (sans soin et sans songer si jamais un autre œil que le mien lirait ces pages), j’écrivis, dis-je, non toutes, mais les principales émotions de ma vie intérieure. Je remuai du bout de ma plume la cendre froide ou chaude de mon passé. Je soufflai sur ces charbons éteints de mon cœur pour en ranimer quelques jours de plus la lueur et la chaleur dans mon sein ! Je fis cela à sept ou huit reprises de ma vie, sous la forme de notes, dont l’une n’a de liaison avec l’autre que l’identité de l’âme qui les a dictées.

Suis-moi encore un moment et pardonne à la longueur de ma lettre.

Il y a cinq ou six ans, j’étais allé, pendant un été, me réfugier, pour travailler en paix à l’Histoire de la Révolution française, dans la petite île d’Ischia, au milieu du golfe de Gaëte, séparé du continent par cette belle