Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/55

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cadrée des lierres et des liserons entrelacés au treillage. Elle connaît mon pas dans la rue, elle passe son bras par l’ouverture, et laisse tomber une poignée de fleurs ou seulement une feuille sèche, un grain de sable, sur ma tête ; le m’arrête, elle regarde si j’ai ramassé, je passe de l’autre côté de la rue, je distingue ses beaux yeux ouverts, semblables à deux urnes bleues de plus dans la tapisserie des fleurs grimpantes ; j’entrevois ses cheveux dorés comme les filaments d’une plante inconnue ; nous nous regardons, immobiles, en remuant seulement les lèvres, pleines de mots muets, de confidences et de sourires emportés par le vent. Nous restons ainsi jusqu’à ce qu’une persienne importune vienne à s’ouvrir dans la façade de quelque maison voisine, ou jusqu’à ce que j’entende le pas rare d’un passant retentir à une des extrémités de la rue. Alors elle se retire, je continue mon chemin, et je rentre dans le palais de mon père avec une provision d’ivresse pour tout le jour.

« Le soir, à l’heure où les Romains sortent en calèche pour les théâtres, le Corso, les conversazioni, où je ne vais plus, je suis admis par la tourière, comme un parent de la famille, dans l’appartement de la princesse, qui ne subit qu’à moitié les règles claustrales. Je trouve Régina qui m’attend sous le cloître, auprès de la fontaine ; je lui baise les mains avec le respect d’un étranger pour une femme et avec la douce familiarité d’un frère. Elle me conduit au pied du canapé de sa grand’mère ; nous causons en paix et en pleine liberté devant cette femme âgée, qui semble rajeunir à nos folles joies d’enfants heureux. Seulement elle jette quelquefois un long regard de tristesse sur Régina et sur moi, puis elle regarde à la pendule et semble penser sans nous le dire : « Combien de temps durera ce bonheur ? Combien y a-t-il d’heures