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TOUSSAINT LOUVERTURE.

toussaint.

Ils nous aiment…Crois-tu !

adrienne.

Ils nous aiment… Crois-tu !Le fruit vient des racines…
Les blancs n’ont pas changé les cœurs dans leurs poitrines.

toussaint, à part.

Oui ; mais s’ils s’en servaient comme d’un traître appas,
Pour me percer le sein quand j’ouvrirai les bras ?
Si, pendant les douceurs d’un entretien si tendre,
Désarmé par l’amour ils venaient me surprendre ?…
Contre le noir stupide ils se servent de tout ;
Ils font bêler l’agneau pour attirer le loup.

À Adrienne.

Écoute, mon enfant, pendant cette entrevue,
À défaut de Toussaint porte partout la vue.
Sur ces monts dominant tous les monts d’alentour,
Ce créneau de rocher surgit comme une tour ;
C’est ma tour des signaux, c’est de là que se dresse,
Pour les yeux de mes chefs, le drapeau de détresse,
Drapeau noir comme nous, dont la couleur aux vents
Fait une tache au ciel comme nous aux vivants !…
Trente mille des miens, dont ce signe est l’étoile,
Ont les yeux attachés sur ce morceau de toile !
immobiles, muets, et cachés l’arme au bras
Dans ces ravins profonds tant qu’il ne flotte pas,
Mais à son premier pli, si ma main le déploie,
S’élançant comme un tigre et croulant sur leur proie !…
Si l’on tend à mon cœur quelque piège inhumain,
Jures-tu d’élever ce signal dans ta main !

adrienne.

À ton moindre clin d’œil, je saurai me résoudre.
Pour toi, pour mon pays j’allumerai la foudre !

toussaint, l’embrassant.

Ô naïf héroïsme ! ô sublime vertu !