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DE L’ÉMANCIPATION

irrachetable de la possession de l’homme par l’homme, nous ne pouvons nous taire ; notre réserve pouvait, devait vous donner du temps ; elle ne peut ni ne doit vous faire l’éternelle concession d’une vérité qui ne nous appartient pas plus qu’à vous, qui est le titre de l’humanité tout entière !

Ce n’est plus ni le temps ni l’heure de revenir sur cette question de l’esclavage en lui-même. Cette question n’est jamais absolue, elle est toujours relative, et j’accorderai, si l’on veut, que la loi peut tolérer l’esclavage de certaines races humaines pendant un certain temps, et à la condition que cette violation des droits reçus de la nature, que cette exception odieuse à la possession de soi-même soit ou paraisse indispensablement nécessaire à la conservation, à l’amélioration de ces hommes tenus en tutelle au dessous de l’humanité ! Je l’accorderai sans y croire, car la possession de l’homme n’a pas été donnée à l’homme. Dans l’état de nature l’homme appartient à Dieu, dans l’état de société il appartient à la loi. L’homme ne peut être acheté, il ne peut même se vendre lui-même : car la dignité humaine ne lui appartient pas, elle appartient à l’humanité tout entière. Aucune loi sociale ne peut reconnaître cet avilissement de l’humanité dans le commerce forcé ou volontaire de l’homme, elle profanerait l’homme et Dieu ! D’ailleurs, si l’on pouvait se vendre soi-même par un abus monstrueux du droit de possession de soi-même, on ne peut vendre au delà de soi-même, on ne peut inféoder la race à venir à un éternel esclavage ! L’état actuel de l’esclavage dans nos colonies admet cette vente des enfants par le père et par la mère ! des enfants nés et à naître ! Et quelle mère peut voir, sans que son cœur soit refoulé en elle, sourire son enfant destiné à lui être arraché pour l’esclavage ? quelle mère, si elle a une pensée humaine, peut sentir sans regret et sans horreur palpiter dans son sein un être vendu d’avance au fouet des blancs ? Ils ne peuvent, dit on, supporter la liberté, c’est une race imparfaite qu’il faut élever à l’humanité par la servitude ? Monstrueux prétexte de la barbarie de nos lois ! Ils ne peuvent supporter la liberté ? Est-ce que la liberté est plus lourde à porter que l’esclavage ? Et nous, qui parlons, supporterions-nous l’esclavage ? Et cependant qui de nous osera dire que l’esclavage n’est pas plus difficile à supporter que la liberté ? C’est ainsi que des législations cupides se font des raisons de leurs vices mêmes !

Non, messieurs, nous ne croirons jamais à ces prétendues nécessités des crimes sociaux, à cette prétendue impuissance des races humaines d’arriver à la possession des droits que Dieu leur a faits, pas plus qu’à cette impossibilité de cultiver certaines plantes autrement qu’en dégradant toute une famille humaine. S’il en était ainsi, périssent ces plantes qui ne pourraient croître que sous la sueur et le sang des esclaves ! Mais il n’est pas, il ne peut pas être vrai que la prospérité d’une contrée ou d’un peuple soit nécessairement fondée sur la dégradation et l’abrutissement d’un autre peuple et d’un autre pays ! Je ne croirai jamais que le