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RAPHAËL

l’attrait irréfléchi qui me ramenait vers elle, dans sa robe blanche aperçue de loin à travers les sapins de la montagne, dans ses cheveux noirs que le vent du lac déroulait sur le bord de son bateau, dans ses pas sur l’escalier, dans la lumière de sa fenêtre, dans le léger craquement de ses pas sur le parquet de sapin de sa chambre, dans le froissement de sa plume sur le papier quand elle écrivait ; dans le silence même de ces longues soirées d’automne qu’elle passait seule à lire, a écrire ou à rêver, a quelques pas de moi ; dans la fascination enfin de cette beauté fantastique, que j’avais trop vue sans la regarder, et que je revoyais en fermant les yeux, à travers le mur, comme s’il eût été transparent pour moi.

Ce sentiment, du reste, n’était mêlé d’aucun empressement indiscret ni d’aucune curiosité. Je respectais le secret de cette solitude et le fragile rempart qui nous séparait.

Que m’importait a moi cette femme malade de cœur ou de corps rencontrée par aventure au milieu de ces montagnes d’un pays étranger ? J’avais secoué, je le croyais du moins, la poussière de mes pieds ; je ne voulais me rattacher à la vie par aucun lien de l’âme et des sens, surtout par aucune faiblesse de cœur. Je méprisais profondément l’amour, parce que je n’avais connu sous ce nom que ses inconstances, ses légèretés ou ses profanations.

XIV

D’ailleurs, qui était cette femme ? Était-elle de ma patrie ou de quelque contrée lointaine, de quelque île de l’Orient ou des tropiques où je ne pourrais pas la suivre, et alors, après l’avoir adorée quelques jours, n’aurais-je pas à la