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RAPHAËL

qui nous regardaient ; si tièdes, qu’en y trempant le bout des doigts pour y entendre le murmure du sillage de nos mains, nous n’y sentions que les caresses de l’eau sous ses frissons voluptueux.

Un petit rideau, comme dans les gondoles de Venise, nous séparait des bateliers. La malade était couchée sur un des bancs du bateau qui lui servait de lit, le coude sur le coussin, le corps enveloppé de châles contre l’humidité du soir, mon manteau replié autour de ses pieds. Son visage était tantôt dans l’ombre, tantôt éclairé et ébloui par les derniers reflets roses du soleil suspendu au sommet des sapins noirs de la grande Chartreuse. J’étais couché sur un monceau de filets étendus au fond de la barque, le cœur plein, la bouche muette, les yeux sur ses yeux. Qu’avions-nous besoin de parler quand le soleil, le soir, les montagnes, l’air, les eaux, les rames, le balancement voluptueux de la barque, l’écume du-sillage qui nous suivait en murmurant, nos regards, nos silences, nos respirations, nos âmes à l’unisson parlaient si divinement pour nous ? Nous paraissions craindre plutôt instinctivement que le moindre bruit de voix ou de paroles ne vînt détruire l’enchantement d’un pareil silence. Nous croyions glisser de l’azur du lac à l’azur du ciel, sans voir les bords que nous venions de quitter ni les rivages où nous allions toucher.

XXXIV

J’entendis une des respirations de Julie plus forte et plus prolongée que les autres s’écouler lentement de ses lèvres, comme si sa poitrine eût été délivrée d’un poids qui l’eût oppressée jusqu’alors. Je fus troublé. « Vous souffrez ? lui dis-je avec tristesse. — Non, dit-elle, ce n’était pas une