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RAPHAËL

verrous qui séparait son salon de ma chambre : j’appliquai mon oreille contre les panneaux, j’entendis une respiration retenue et le froissement d’une robe de soie contre la muraille. La lueur d’une lampe filtrait à travers les fentes de la porte et au-dessous des battants sur mon plancher. C’était elle, elle était la, l’oreille collée aussi à quelques lignes de mon front, elle pouvait entendre battre mon cœur !

« Êtes-vous malade ? me dit tout bas une voix que j’aurais reconnue à un seul soupir.

» — Non, répondis-je, mais je suis trop heureux ! l’excès du bonheur est aussi fiévreux que celui de l’angoisse. Cette fièvre est celle de la vie ; je ne la crains pas, je ne la fuis et je veille pour en jouir.

» — Enfant, me dit-elle, allez vous endormir pendant que je veille, c’est à moi maintenant de veiller sur vous !

» — Mais vous-même, lui criai-je tout bas, pourquoi ne dormez-vous pas ?

» — Moi, reprit-elle, je ne veux plus dormir, pour ne pas perdre une minute du sentiment de joie nouvelle dont je suis inondée. J’ai peu de temps à savourer cette joie, je ne veux en rien perdre par l’oubli dans le sommeil. Je suis venue m’asseoir là pour vous entendre peut-être et pour me sentir du moins près de vous ?

» — Oh ! murmurai-je entre mes lèvres, pourquoi si loin encore ? pourquoi ce mur entre nous ? Est-ce donc cette porte qui est entre nous, et non notre volonté et notre serment ? me dit-elle. Tenez ! s’il n’y a pas en vous quelque chose de plus fort que votre amour même, qui domine, qui subjugue votre emportement, vous n’êtes pas le frère que j’ai cru trouver. »

Elle continua avec un accent à la fois plus passionné et plus solennel : « Je ne veux rien devoir qu’a vous-même : car si vous trouviez ce que vous appelez un bonheur, ce