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ACTE I, SCÈNE II

ADRIENNE.

Il est vrai ; mais le sang se souvient de sa source,
Le temps m’éloigne en vain de ce jour dans sa course,
L’image de ce blanc me poursuit nuit et jour ;
En vain à mon pays je dois tout mon amour !
Ma mémoire chassant cette image obstinée
Se refuse à haïr celui dont je suis née.
Je me le représente avec des traits si doux,
Avec un cœur si juste et si clément pour nous,
Avec tant de vertus qui rachètent sa race,
Qu’en songe bien souvent ma tendresse l’embrasse,
Et que lui confiant mes secrètes douleurs
Son portrait sous mes yeux se voile de mes pleurs !

LUCIE.

Son portrait ?

ADRIENNE.

Son portrait ?Oui : ma mère, unique et dernier gage,
Le portait sur son cœur, et c’est son héritage ;
À la haine des noirs je le cache à mon tour
Contre ce cœur d’enfant qu’il fait battre d’amour.
Si jamais je quittais les climats où nous sommes,
Je le reconnaîtrais seul entre tous les hommes.
Quand ma mère mourut, de sa douleur, hélas !
Toussaint, le bon Toussaint, me reçut dans ses bras :
« Prends, dit-il à sa femme, un surcroît de famille ;
Dieu nous donna deux fils, il nous donne une fille.
Cette enfant du sang blanc, crime d’un ravisseur,
A puisé l’existence au pur sein de ma sœur.
Va, quand de la brebis la portée est jumelle,
Dieu double pour ses fruits le lait dans sa mamelle. »
Ma tante consentit à ce pieux dessein,
Et, comme son enfant, me reçut sur son sein.
Comme leur propre sœur ses deux fils m’embrassèrent
Ma vie et leur tendresse ensemble commencèrent.