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RAPHAËL

Il fallait donc, me disait-elle, ou me presser de trouver des moyens d’honorable existence, par mes propres efforts, à Paris, ou bien revenir sous le toit de famille et vivre, à la campagne, du pain de tous dans la médiocrité et dans la résignation. La tendresse de ma mère me consolait d’avance de cette douloureuse nécessité. Elle me faisait le tableau du bonheur qu’elle aurait à me revoir. Elle m’étalait la perspective gracieusement colorée des travaux des champs et des simples plaisirs de la vie rurale. D’un autre côté, quelques-uns des amis de jeu et de plaisir de mes premières années de désordre, tombés dans la misère, m’ayant rencontré, me rappelèrent de petites obligations que j’avais contractées envers eux et me prièrent de venir a leur secours. Ils me dépouillèrent peu et peu ainsi de la meilleure partie du trésor d’économie que j’avais amassé pour me soutenir plus longtemps et Paris. Je touchais au fond de ma petite bourse. Je songeai à tenter enfin la fortune par la renommée.

Un matin, après une violente lutte entre ma timidité et mon amour, l’amour l’emporta. Je cachai sous mon habit mon petit manuscrit relié ; il contenait les poésies, ma dernière espérance. Je m’acheminai, en hésitant et en chancelant souvent dans mon dessein, vers la maison d’un célèbre éditeur, dont le nom est associé à la gloire des lettres et de la librairie françaises : M. D***.

Ce nom m’attira le premier parce que, indépendamment de sa célébrité comme éditeur, M. D*** était un écrivain assez considéré alors. Il avait publié ses propres vers avec tout le luxe et tout le retentissement d’un poëte qui possède les voix de sa propre renommée. Arrivé rue Jacob, à la porte de M. D***, porte tapissée de gloires, il me fallut un redoublement d’effort sur moi-même pour franchir le seuil, un autre pour monter l’escalier, un autre enfin plus violent encore pour sonner à la porte de son cabinet ; mais