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LE TAILLEUR DE PIERRE

hameaux, repris-je, pour bien assurer ma réparation ?

» — Oui, monsieur, il y en a un, répondit le vieillard, et un bien bon ouvrier, et bien serviable encore, ajouta-t-il ; mais je ne suis pas bien sûr qu’il consente à descendre et à travailler pour la maison.

» — Et pourquoi donc ? répliquai-je avec étonnement. Est-ce que mon argent ne vaut pas celui des autres ? Est-ce que je ne lui payerai pas la dalle de pierre taillée au même prix et même plus cher, vu l’urgence, que les paysans de la contrée ? Pourquoi ne viendrait-il pas, si vous le faites appeler tout à l’heure en mon nom ?

» — C’est que ce tailleur de pierre ne travaille pas pour de l’argent.

» — Eh bien, je lui donnerai du grain, du blé, des pommes de terre, de l’huile de noix, des paniers de pommes ou de prunes, ce qu’il voudra, enfin.

» — Mais, c’est qu’il ne travaille pas non plus pour des denrées, comme nous autres.

» — Et pourquoi donc travaille-t-il ?

» — Pour le bon Dieu, monsieur, et pour les pauvres gens du bon Dieu. Rien que pour lui, rien que pour eux ; et comme monsieur est riche, qu’il est maître des bois, des prés et du château, j’ai peur que cet homme, qui est doux, mais qui est résistant comme sa pierre dans son idée, ne se dise : « Le monsieur est assez à l’aise pour faire faire son ouvrage par des ouvriers à la journée ou à l’entreprise à bon salaire ; si j’accepte de travailler pour lui, je manquerai au pauvre monde qui aura une porte ou une fenêtre à tailler, et puis monsieur voudra me donner un prix supérieur à celui que je prends pour mes journées et qui représente juste mon pain ; je ne saurai pas comment le refuser, son argent, et je manquerai, si je l’accepte, à ma règle de vie. » En un mot, monsieur, je vous le redis, j’ai peur que cet homme ne vienne pas.

» — Non, non, dis-je, il ne pourra pas refuser de venir.