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DE SAINT-POINT.

balanciers inertes, qui l’embarrassaient visiblement quand il ne portait rien. Ses pieds nus et larges, dont les orteils, puissamment prononcés, mordaient le sol, s’imprimaient devant moi sur le sable de l’allée humide, comme les clous des fers de mon cheval dans l’herbe du pré après une rosée. Il tenait son bonnet de laine rousse à la main. Ses cheveux noirs, épais, saupoudrés de quelques grains de poussière de marbre, flottaient de la longueur d’une main derrière son cou ; ils étaient coupés carrément, à larges entailles, par ses propres ciseaux, de manière à déborder seulement comme un ourlet noir entre la nuque et le collet, pour protéger son cou contre la pluie et la neige. Il n’avait pour tout vêtement qu’une chemise de fil de chanvre écru, ouverte au cou, nouée sur la poitrine par deux clous de laiton dont l’un servait d’épingle, et dont l’autre, recourbé en cercle autour du premier, formait une espèce de nœud de cuivre qui pinçait la toile et l’aplatissait sur la poitrine. Il portait sa veste sur l’épaule gauche. Ce n’était évidemment pour lui qu’un signe de respect, une marque de déférence, une décoration honorifique qu’il ne portait que pour moi et non pour lui. Un pantalon de laine blanche, de même étoffe que sa veste, était serré autour de sa taille par une forte ceinture de cuir roux à petites poches fermées par un lacet de cuir aussi, d’où sortaient à moitié les branches de ses compas et les manches de ses trois marteaux. Ce pantalon ne descendait qu’aux chevilles du pied. Un long tablier de peau de chèvre flottait et bruissait à chaque pas sur ses genoux. Il marchait avec la cadence lente et mesurée d’un homme qui pense en marchant, et dont la symétrie intérieure, ce balancier du pendule humain, règle instinctivement les mouvements du corps. Tel était l’extérieur du tailleur de pierre.

Mais sous cet extérieur grossier et sous ces habits rustiques éclatait néanmoins dans la tête nue de cet homme une empreinte, je ne dirai pas seulement de dignité, mais