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DE SAINT-POINT.

quand j’y pense, cela me fond d’amour pour le bon Dieu !

(Il s’arrêta comme essoufflé d’enthousiasme, et mit sa tête dans ses deux grosses mains pour réfléchir. Ses yeux étaient humides quand il les ouvrit. J’étais confondu moi-même, en l’écoutant, de voir qu’une pensée forte et juste, quoique si simple, prêtait des expressions à ce muet que moi-même, homme de parole exercée, j’aurais eu de la peine à rencontrer plus expressives et plus pénétrantes.)

Moi. — Mais quelle idée vous faites-vous donc de ce bon Dieu que vous aimez tant, mon pauvre Claude ?

Moi. — Ah ! monsieur, j’y pense, j’y pense, j’y pense depuis que je suis au monde, et je n’ai pas pu me satisfaire encore de la moindre petite ombre d’idée. Mon faible esprit a beau s’élargir dans ma tête comme pour briser les murailles de mon front, pour déborder de sa prison et pour s’étendre à la mesure des mondes tout entiers, c’est toujours comme rien devant tout. Ça ne mesure pas seulement un grain de poussière de sa grandeur, une minute de sa durée, une goutte d’eau de la mer de ses perfections ; ça pèse comme cent mille montagnes de ce granit sur l’aile d’un de ces moucherons ; ça donne le vertige à l’âme d’un pauvre homme ; ça le donnerait aux âmes réunies de toutes les créatures qui ont jamais vécu, qui vivent ou qui vivront dans l’éternité.

Il n’y faut pas penser seulement à s’en faire une idée, monsieur. Une idée de Dieu ; mais si on l’avait, on serait Dieu soi-même… Une image, je ne dis pas ; je m’en fais bien quelquefois des milliers d’images, tantôt l’une, tantôt l’autre, qui me contentent un petit moment et qui me soulagent l’esprit, comme une planche qui soulage un instant l’homme qui se noie sur un océan ; mais ça ne soutient pas longtemps, ça s’enfonce sous vous comme tout le reste, et votre esprit se noie éternellement dans cette contemplation.

Moi. — Et quelles images vous reviennent le plus souvent, Claude ?