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LE TAILLEUR DE PIERRE

n’aimerait pas, monsieur, une terre où l’on a déposé son trésor, et qui vous le garde pour la résurrection ?

(Une grosse larme roula sans qu’il la sentît sur sa joue. Je vis qu’il y avait un amour dans cet amour ; quelque culte particulier et de l’espérance dans ce culte universel et pieux de la création.)

Moi. — Mais, aimant comme vous l’êtes, Claude, cette solitude sans femme, sans enfants, sans voisins sur ces hauteurs, où le vent seul monte avec vous, ne vous attriste-t-elle pas ?

Lui. — Non, monsieur, bien au contraire : je suis triste quand je suis en bas ; je redeviens gai et content dès que je remonte. Les hommes font trop de bruit pour mon faible esprit, qui ne s’entend lui-même que dans le silence ; ce bruit chasse le bon Dieu d’auprès de moi ; il me semble que je ne suis pas tant dans sa compagnie, quand je suis au milieu des villages. Je crois vraiment que le bon Dieu aime mieux les montagnes.

Moi. — Pourtant il a fait les vallées et les plaines aussi.

Lui. — C’est vrai ; mais les montagnes sont plus près du ciel.

Moi. — Mais n’y a-t-il pas, Claude, une autre raison que vous ne me dites pas, et qui fait que vous vivez seul ici avec vos chevreaux et vos brebis, et que vous faites tous les jours deux lieues pour descendre et deux lieues pour remonter à votre ancienne maison ?

Lui. — (en se levant et en regardant les tombes vertes). — C’est vrai, monsieur ; mais de ça, n’en parlons pas : ça vous ferait peine, et à moi aussi. Voilà le soleil qui est tout à fait couché derrière la montagne où vos bois noircissent. Vous n’aurez que le temps de redescendre avant la nuit noire dans la vallée.

Moi. — Je l’avais oublié en causant avec vous, Claude ; quand on a découvert une bonne source à l’ombre, en