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LE TAILLEUR DE PIERRE

à Marseille aiment le creux des vagues, le fond de la mer, l’écume des écueils, comme les bergers aiment le dessus des montagnes, comme les bûcherons aiment à plonger leur hache saignante de sève dans le tronc fendu des vieux chênes et des châtaigniers. Dieu a donné à chacun son goût, pour qu’on fît tous les états avec contentement. Ce qui m’a toujours retenu au mien, c’est qu’on le fait tout seul. On peut, sans que ça vous dérange, siffler, chanter, penser, rêver, prier le bon Dieu. L’ouvrage va toujours sous la main, pendant que le cœur et l’esprit vont de leur côté là où ils veulent. Voilà l’agrément de l’état de tailleur de pierre.

» Ensuite, c’est un joli état pour l’oreille, monsieur. Quand je suis à genoux devant ma pierre bien équarrie et portée sur deux rouleaux de sapin qui m’aident à la remuer à ma fantaisie ; quand, dans un coin de la carrière, bien au soleil l’hiver, bien à l’ombre l’été, j’ôte ma veste et je retrousse mes manches de chemise ; que je prends le ciseau de ma main gauche, le maillet de ma main droite ; que je me mets à creuser ma rainure ou à arrondir ma moulure à petits coups égaux, comme l’eau qui tombe goutte à goutte, en sonnant, du haut de la source dans le bassin, il sort de ma pierre, si elle est bien franche, une musique perpétuelle qui endort le cœur et la tête aussi doucement que le carillon lointain du village. On dirait que mon maillet est un battant et que ma pierre est le bord d’airain d’une cloche. Vous ne sauriez croire combien ce son encourage à l’ouvrage. Les soldats ont besoin de battre le tambour pour se faire cœur à la route ; les matelots ont besoin de chanter pour se donner force à tirer leurs ancres ou leurs cordages. Nous autres, monsieur, nous n’avons pas besoin de cela ! notre ouvrage règle les coups du marteau et chante tout cela pour nous. Ah ! c’est un beau son, allez, que celui d’une dalle mince de marbre, de granit ou de grès, ou d’une auge de pierre tendre creusée pour rece-