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LE TAILLEUR DE PIERRE

dit : « Je sens que tu me chauffes et je te bénis ! » J’étais aussi simple que cette bête du bon Dieu, monsieur, et mon Credo était, je pense, à proportion de l’homme à l’insecte, comme le sien.

Moi. — Mais est-ce que personne ne vous parlait de ce Dieu que vous aimiez tant, et ne vous enseignait-on pas à l’adorer et à le servir ?

Lui. — Non, monsieur ; il n’y avait pas d’églises ouvertes et de prêtres payés par la république en ce temps-là. Tout le monde croyait ce qu’il voulait ; on adorait le bon Dieu à sa fantaisie. Il y en avait même qui ne l’adoraient pas du tout, parce qu’ils disaient que les prêtres s’étaient entendus avec les rois ou les chefs pour les mettre dans leur parti, et pour posséder ainsi la terre en son nom. « Et quand ça serait, que je leur disais, est-ce une raison pour renier votre père, parce qu’on lui a donné un autre nom que le sien, ou parce qu’on aura fait un faux en son nom ? » Ces hommes, qu’on appelait des athées, me faisaient bien de la compassion, croyez-le. Il me semblait qu’ils étaient plus privés de vue dans leur âme que mon frère Gratien dans les yeux. Je les évitais tant que je pouvais et je priais pour eux en particulier, comme pour des créatures plus malheureuses que les autres. Au contraire, je me sentais attiré vers ceux qui avaient une religion, et qui se mettaient à genoux devant quelque chose, pourvu que ce fût de bon cœur et de bonne foi, parce que je me disais à moi-même : Ceux-là ont deux yeux de dedans comme moi ; ils voient le bon Dieu sous une figure ou sous une autre ; ils cherchent à le voir, à le connaître et à l’adorer, du moins ! Ça leur fait honneur et ça les rend bons ; car on peut bien être faible, mais on ne peut pas être méchant quand on se croit en présence de la suprême bonté. » Je fus content, sans savoir de quoi, quand on rouvrit les temples, et que la nation reconnut un Dieu et tous les cultes qu’on voudrait librement lui rendre. « Ah ! que je me dis, voilà