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DE SAINT-POINT.

élevant ses regards vers la cime des arbres. Mais dans l’accent avec lequel il prononçait ce nom, il y avait toute une révélation de la présence et de la sainteté de son Créateur. J’entendis distinctement aussi le nom de Denise, et ces mots huit ou dix fois répétés : « Es-tu là ? Me vois-tu ? Est-ce toi, Denise, qui me réponds dans l’âme ? Dis-moi donc quand il plaira au bon Dieu de nous réunir. Je suis bien impatient peut-être, n’est-ce pas ? C’est bien mal à moi de ne pas savoir attendre la volonté de là-haut, que tu sais, toi ! Mais la montagne est si seule sans toi ! Obtiens donc du bon Dieu qu’il ait pitié de Claude ! Denise ! Denise !… que la vie me dure ! » Et quelques autres paroles confuses et entrecoupées comme celles-là. Puis, comme s’il eût eu honte de son impatience et comme s’il eût rougi de s’attendrir ainsi sur lui-même, il se leva, s’essuya les yeux, sourit tristement au soleil qu’il apercevait en haut sur l’extrémité du ravin, et remonta lentement la pente de mon côté. Je fis alors du bruit dans les feuilles et quelques pas, comme si je venais d’arriver seulement aux Huttes, et comme si je cherchais Claude vers l’enclos de roches. À ce bruit, il me reconnut, remonta tout à fait, me salua son bonnet à la main et ses cheveux au vent. Je lui serrai la main avec un sentiment d’amitié véritable, que je reconnus dans l’impression forte et confiante de sa propre main. Nous allâmes, en causant de la beauté de la saison et de la sérénité du jour, nous asseoir sous le grand châtaignier, dont ses feux de berger dans son enfance avaient creusé le tronc et calciné les racines.

Après avoir ramené insensiblement et par de longs et flexibles détours la conversation sur lui-même et sur sa vie passée :

« Eh bien ! Claude, lui dis-je, étiez-vous suffisamment heureux dans cette vie de dévouement à vos frères pendant votre tour de France, et ne pensiez-vous jamais qu’à soulager vos camarades, à Dieu et aux livres que le vieillard